Short Description
Dès l’aube de l’islam et pendant toute la durée de la révélation, le Coran n’a cessé d’expliquer au Prophète (paix et salut à lui) l’histoire des prophètes qui l’avaient précédé
Dès l’aube de l’islam et pendant toute la durée de la révélation, le Coran n’a cessé d’expliquer au Prophète (paix et salut à lui) l’histoire des prophètes qui l’avaient précédé, sans se contenter simplement de relater les faits mais au contraire en célébrant la gloire de tous les prophètes quels qu’ils soient.
Cette pratique se poursuivit à Médine même après les conflits qui opposèrent les musulmans tantôt aux juifs, tantôt aux chrétiens. Jamais le Coran n’a cessé de faire l’éloge des prophètes d'Allah, tout particulièrement Moïse et Jésus (la paix soit sur eux), les prophètes des juifs et des chrétiens.
Ainsi, le Coran mecquois[1] dit par exemple au sujet de Moïse : « Lorsqu’il eut atteint l’âge adulte, Nous lui donnâmes sagesse et savoir – ainsi récompensons-Nous les êtres vertueux. »[2]
Allah dit également à l’adresse de Moïse : « Ô Moïse, Je t’ai préféré à tous les hommes par Mes messages et Ma parole. Prends donc ce que Je t’ai donné et sois parmi les êtres reconnaissants. »[3] On pourrait encore citer de nombreux autres versets en ce sens.
Il en va de même pour Jésus (la paix soit sur lui). Le Coran mecquois célèbre son histoire à de nombreuses reprises, par exemple dans les versets suivants :
« Il dit : je suis serviteur d'Allah. Il m’a donné l’Ecriture et a fait de moi un prophète. Il m’a béni, où que je sois. Il m’a recommandé la prière et l’aumône purificatrice, tant que je vivrai, et la bonté envers ma mère. Il ne m’a pas fait violent ni malheureux. La paix soit sur moi, le jour où je naquis, le jour où je mourrai, le jour où je serai ressuscité. »[4]
Ou encore : « Et Zacharie, Jean-Baptiste, Jésus et Élie : tous faisaient partie des justes. »[5]
Les prophètes continuèrent à être ainsi honorés durant la période médinoise, malgré les conflits et les différends avec les juifs et les chrétiens et leur rejet continuel du message islamique. L’éloge divin des nobles prophètes ne s’interrompit pas pour autant.
Moïse et Jésus (la paix soit sur eux) sont cités parmi les plus résolus des prophètes ; Allah dit à leur sujet : « Et lorsque Nous avons reçu des prophètes leur pacte : de toi, de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Jésus fils de Marie. Nous avons reçu d’eux un pacte solennel. »[6]
Si l’on considère que cette sourate, la sourate al-Ahzâb (Les coalisés), a été révélée après que les juifs de Banû Qurayza avaient trahi les musulmans et essayé d’exterminer les musulmans de Médine, on comprend la place d’honneur réservée par Allah à Moïse et Jésus (la paix soit sur eux), prophètes juifs ; on perçoit également la fidélité du Prophète (paix et salut à lui) qui transmettait le message divin honorant ces prophètes malgré la trahison de leur peuple et de leurs adeptes.
Ces manifestations de respect et ces hommages à ces prophètes ne sont pas ponctuels et fortuits dans le Coran, mais se répètent au contraire de façon particulièrement remarquable.
Alors que le nom « Mohammad » n’apparaît que quatre fois dans le Coran et le nom « Ahmad » une seule fois, on note que le nom « Jésus » apparaît vingt-cinq fois, et l’expression « le Messie » six fois, ce qui fait un total de trente-et-une mentions. Moïse, quant à lui, est en tête de la liste des prophètes mentionnés dans le Coran, où son nom apparaît cent quarante fois !
Le nombre de fois où les noms des prophètes sont mentionnés dans le Coran est un indicateur de l’étendue du respect à leur égard ancré dans le cœur des musulmans. De fait, j’ai été surpris lorsque j’ai recensé l’apparition des noms des prophètes dans le Coran et j’ai y trouvé des significations subtiles. Les prophètes le plus fréquemment mentionnés sont Moïse, puis Abraham, puis Noé, puis Jésus (la paix soit sur eux tous) : ils font tous partie des prophètes les plus résolus. Ceci constitue indubitablement un hommage et une marque d’honneur envers ces prophètes. Mais, comme nous l’avons dit, notre Prophète Mohammad (paix et salut à lui) n’est, lui, mentionné nommément que cinq fois ; le comptage effectué montre que dix-sept noms de prophètes sont mentionnés plus souvent que celui de Mohammad (paix et salut à lui). Tout cela prouve de manière irréfutable que l’islam vénère tous les prophètes et les envoyés. Ce comptage prouve bien également que le Coran n’est pas l’œuvre du Prophète (paix et salut à lui) comme le prétendent de nombreux Occidentaux, car dans ce cas il aurait donné plus de place à sa propre louange qu’à celle des autres.
La question qui se pose est alors : après toutes ces mentions élogieuses, peut-on encore prétendre que les musulmans ne reconnaissent pas les autres ?
Qui sur terre nous reconnaît autant que nous reconnaissons les autres ?
Bien que nous soyons pleinement convaincus que le Prophète (paix et salut à lui) était le plus noble des êtres et la meilleure des créatures, le Saint Coran nous enjoint de croire à tous les prophètes sans faire de distinction entre eux. Allah décrit ainsi la foi idéale dont doit se parer la communauté musulmane : « Dites : Nous croyons en Allah, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus, à ce que Moïse et Jésus ont reçu et à ce que les Prophètes ont reçu de leur Seigneur. Nous ne faisons aucune distinction entre eux et nous Lui sommes soumis. »[7]
L’exégète contemporain Sayyid Qutb commente ainsi ce verset : « Voilà l’islam dans toute son ampleur, englobant toutes les révélations, reconnaissant tous les prophètes, vouant à Allah seul la religion d'Allah tout entière, ramenant tous les messages révélés à leur source unique et accordant foi à la révélation dans sa totalité, comme Allah l’a voulu pour Ses serviteurs. »[8]
Ibn Kathîr écrit en commentaire de cette parole à la concision parfaite : « Nous ne faisons aucune distinction entre eux » : « Cela signifie : nous croyons à eux tous. Le croyant de cette communauté croit donc à tous les prophètes et à tous les Livres révélés, sans rien nier de tout cela. Il accorde donc foi à tout ce qu'Allah a révélé et à tous les prophètes qu’Il a envoyés. »[9]
Le Coran condamne sévèrement ceux qui font des distinctions entre les prophètes. Allah dit : « Ceux qui nient Allah et Ses prophètes et qui veulent dissocier Allah de Ses prophètes en disant croire aux uns et nier les autres, voulant adopter une voie intermédiaire : ceux-là sont les véritables mécréants, et nous avons préparé pour les mécréants un châtiment humiliant. »[10]
Voilà la conception que le Prophète (paix et salut à lui) avait à l’esprit lorsqu’il parlait des prophètes et des envoyés.
Le Prophète (paix et salut à lui) nous a ordonné de ne pas préférer un prophète à un autre : « Ne faites pas de préférence entre les prophètes. »[11] Lorsqu’un différend eut lieu entre un musulman et un juif au sujet de la différence de valeur entre les prophètes, le Prophète (paix et salut à lui) se mit en colère et donna raison au juif et non au musulman.
Abû Hurayra (qu'Allah l’agrée) a relaté qu’un juif qui vendait sa marchandise se vit proposer un prix qui ne lui convenait pas et répondit : « Non, par Celui qui a choisi Moïse de préférence à toute l’humanité. » Un homme des Ansâr l’entendit : il se leva, gifla le juif et dit : « Tu dis : ‘par Celui qui a choisi Moïse de préférence à toute l’humanité’, tandis que le Prophète (paix et salut à lui) est parmi nous ! »
Le juif alla voir le Prophète (paix et salut à lui) et lui dit : « Abû al-Qâsim, je suis protégé par un traité, comment untel peut-il me gifler ? » Le Prophète (paix et salut à lui) demanda à l’homme : « Pourquoi l’as-tu giflé ? » Celui-ci lui ayant expliqué l’affaire, le Prophète (paix et salut à lui) se mit en colère au point que cela apparut sur son visage et dit : « Ne faites pas de préférence entre les prophètes d'Allah. On soufflera dans la trompette et tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre tomberont foudroyés, sauf ceux qu'Allah voudra. Puis on soufflera dans la trompette une seconde fois et je serai le premier à être ressuscité : je verrai Moïse se tenant au trône, et je ne sais s’il aura été tenu compte de son foudroiement le jour du Mont ou s’il aura été ressuscité avant moi. Je n’affirme pas que quiconque soit meilleur que Jonas fils d’Amittaï. »[12]
Le Prophète (paix et salut à lui) ne voyait pas d’inconvénient à mentionner de telles vérités, en particulier dans cette situation de différend entre un musulman et un juif. Ici, le Prophète (paix et salut à lui) a complètement mis de côté les circonstances du différend pour prendre le parti de Moïse, son frère dans la prophétie, et lui rendre hommage.
Le Prophète (paix et salut à lui) considérait que lui-même et les prophètes qui l’avaient précédé étaient les maillons d’une même chaîne, ou les briques d’un même édifice : il n’y avait donc pas lieu d’établir une quelconque rivalité ni une quelconque préférence entre eux. Ainsi, le Prophète (paix et salut à lui) a dit : « Ma place par rapport aux prophètes qui m’ont précédé, c’est comme si un homme avait construit une maison, s’il l’avait bien bâtie et embellie, à part l’emplacement d’une brique dans un coin. Les gens se mettraient à tourner autour de la maison en l’admirant et en disant : ‘Si seulement cette brique avait été posée !’ Je suis cette brique, je suis le sceau des prophètes. »[13]
Telle est notre vision des prophètes et des messagers à travers le cours de l’histoire. Ils ne sont rien moins que les briques d’un superbe édifice : il serait absurde que les briques de ce bâtiment unique rivalisent entre elles, car toutes se complètent et s’entraident pour réaliser une même mission, la célébration de l’unicité divine.
Par conséquent, nous ne pouvons que reconnaître totalement ceux qui nous ont précédés sur cette voie, et nous n’exagérons nullement en disant que nous aimons les prophètes plus que leurs propres adeptes ne les aiment et que nous leur accordons plus de respect qu’ils ne le font.
C’est ce qu’a exprimé le Prophète (paix et salut à lui) lorsque, voyant que les juifs jeûnaient à l’occasion d’Achoura, il demanda : « De quoi s’agit-il ? » On lui répondit : « C’est un jour béni, et c’est le jour où Allah a sauvé les Enfants d’Israël de leur ennemi : Moïse jeûnait ce jour. » Il dit alors : « J’ai plus de droits qu’eux sur Moïse. » Il se mit à jeûner ce jour et ordonna aux musulmans d’en faire autant.[14]
Le Prophète (paix et salut à lui) considérait donc avoir plus de droits sur Moïse que les juifs ; il se réjouissait que les juifs aient été sauvés de leur ennemi Pharaon, au point de célébrer ce jour par un jeûne afin de remercier Allah de ce bienfait, et au point d’ordonner même à toute la communauté musulmane de pratiquer ce jeûne.
Tout cela ne constitue-t-il pas une reconnaissance de Moïse et des Enfants d’Israël ?
Le Prophète (paix et salut à lui) a dit la même chose à propos de Jésus (la paix soit sur lui) : « J’ai plus de droits que quiconque sur Jésus fils de Marie ici-bas et dans l’au-delà : les prophètes sont des frères de même père et de mères différentes,[15] et ils ont la même religion. »[16]
Cela ne constitue-t-il pas une reconnaissance de Jésus fils de Marie (la paix soit sur lui) et des chrétiens ?
En outre, lorsque le Prophète (paix et salut à lui) voulut rendre hommage à Abû Bakr et `Umar (qu'Allah les agrée), qui étaient les deux principaux personnages de la communauté musulmane après lui-même, il les compara à des prophètes : une telle comparaison est un honneur, et suivre leur enseignement est louable.
Le Prophète (paix et salut à lui) a dit en effet : « Toi (Abû Bakr), tu es comme Abraham (la paix soit sur lui) qui a dit : ‘Quiconque me suivra sera des miens ; quant à ceux qui me désobéiront, Tu es Pardonneur et MiséricorAllahx’[17] et comme Jésus qui a dit : ‘Si Tu les châties, ils sont Tes serviteurs ; et si Tu leur pardonnes, c’est Toi qui es le Puissant, le Sage.’[18] Quant à toi (`Umar), tu es comme Noé qui a dit : ‘Seigneur, ne laisse subsister aucun mécréant sur la terre’[19] et comme Moïse qui a dit à son Seigneur : ‘Et durcis leurs cœurs afin qu’ils ne croient pas jusqu’à ce qu’ils voient le douloureux supplice.’[20] »[21]
Voilà quelle était la place de ces nobles prophètes aux yeux du Messager d'Allah (paix et salut à lui).
Même lorsque le Prophète (paix et salut) aurait souhaité qu’un prophète ait eu un comportement différent, il présentait ce souhait sous la forme d’une invocation.
Ainsi, nous le voyons regretter que Moïse n’ait pas patienté lors de son voyage en compagnie d’al-Khidr[22] en disant : « Allah fasse miséricorde à Moïse, nous aurions préféré qu’il patiente afin qu’on nous raconte ce qui leur serait arrivé. »[23]
Considérant qu’une autre parole aurait été préférable à celle prononcée par Lot et relatée par le Saint Coran lorsqu’il dit : « Si seulement j’avais la force de m’opposer à vous ou si je pouvais recourir à un solide appui ! »[24], le Prophète (paix et salut à lui) dit : « Allah fasse miséricorde à Lot, il pouvait recourir à un solide appui. »[25]
Au-delà des prophètes qui l’ont précédé, le Prophète (paix et salut à lui) fait aussi l’éloge de leurs adeptes et de tous ceux qui ont suivi fermement leur voie et pratiqué leur religion avec constance. Ainsi le voit-on faire l’éloge du moine chrétien dans l’histoire des Gens du Fossé,[26] de l’aveugle juif qui avait remercié Allah pour Ses bienfaits,[27] ainsi que de Jurayj[28], un ermite juif dont il relate l’histoire à ses Compagnons et à nous-mêmes : il est fort difficile de recenser toutes ces références, et l’on peut se reporter pour cela aux recueils de la sunna.
Sans se contenter de relater leur histoire, le Prophète (paix et salut à lui) demandait à ses Compagnons de prendre exemple sur la fermeté des adeptes des autres religions qui avaient vécu avant eux et de modeler leur attitude sur la leur.
Citons par exemple cet incident où il donne comme modèles les adeptes d’une autre religion :
Khabbâb ibn al-Aratt a relaté : Nous nous plaignîmes au Prophète (paix et salut à lui) comme il était accoudé avec son manteau pour coussin à l’ombre de la Ka`ba. Nous lui demandâmes : « Ne peux-tu implorer Allah de nous secourir ? Ne peux-tu L’invoquer pour nous ? » Ce à quoi il répondit : « Parmi les nations qui vous ont précédés, beaucoup ont été placés dans des trous creusés dans la terre et sciés en deux de la tête aux pieds : cela ne parvenait pas à leur faire renier leur religion. Il arrivait qu’on leur arrache la chair et les nerfs jusqu’à l’os avec un peigne de fer : cela ne parvenait pas à leur faire renier leur religion. Par Allah, Il ne manquera pas d’accomplir Son dessein, de sorte qu’un voyageur pourra aller de San‘â à Hadramawt en n’ayant à craindre qu'Allah, et le loup pour son troupeau… Mais vous êtes impatients ! »[29]
Telle était la vision qu’avait le Prophète (paix et salut à lui) des prophètes et de leurs adeptes, une vision mise en pratique dans sa vie depuis le début de sa mission.
On sait par exemple que lorsqu’il reçut pour la première fois la révélation et qu’il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, il se rendit chez Waraqa ibn Nawfal,[30] connu pour être chrétien. De nombreux récits témoignent de cet incident.[31] Waraqa ibn Nawfal annonça clairement que s’il était encore vivant à l’époque où le Prophète (paix et salut à lui) aurait à affronter son peuple, il le soutiendrait de toutes ses forces. Il mourut cependant avant cela, malgré quoi le Prophète (paix et salut à lui) ne l’oublia pas : il n’avait de cesse de faire l’éloge de sa foi et il dit qu’il faisait partie des hôtes du Paradis : « N’insultez pas Waraqa, je l’ai vu avec un ou deux jardins (au Paradis). »[32]
Ces sentiments généreux, loin de toute susceptibilité et de tout parti-pris, ont mené le Prophète (paix et salut à lui) à adopter de telles attitudes positives.
En outre, le Prophète (paix et salut à lui) savait bien que la pérennité des juifs et des chrétiens jusqu’au Jour du jugement était un fait acquis, et il l’a évoqué dans de très nombreux récits.[33] L’existence de ces communautés sous cette forme étant un fait indéniable et inévitable, il fallait donc les reconnaître, coexister avec elles et rechercher les meilleures manières de gérer ce vivre-ensemble. De ce fait, l’hommage rendu à certains de leurs membres ou la reconnaissance de leur existence ne sont pas un simple luxe intellectuel, ni un effort politique pour enjoliver la situation des musulmans. Ces paroles et ces idées venaient s’insérer dans une réalité : elles ont suscité un grand nombre d’attitudes positives, ainsi que des dispositions législatives d’une importance capitale qui ont très largement contribué à faciliter la coexistence entre les différentes religions et les diverses cultures au sein d’une même société.
C’est pourquoi, en bref, on s’aperçoit que le Prophète (paix et salut à lui) a accepté dès le premier jour de son arrivée à Médine l’idée d’une coexistence avec les juifs et a conclu avec eux des traités importants qui feront à eux seuls l’objet d’un autre livre si Allah le veut.
Jamais le Prophète (paix et salut à lui) n’a voulu enfreindre ou abroger ces traités : la transgression et la trahison sont à chaque fois venues des juifs. Le Prophète (paix et salut à lui) s’en est toujours tenu au principe de la coexistence pacifique et de la reconnaissance de l’autre, tant que cet autre ne l’agressait pas ou ne constituait pas une menace grave. Au contraire, il laissait passer de nombreux actes d’hostilité inacceptables afin de préserver la stabilité de Médine.
Le Prophète (paix et salut à lui) n’a pas changé d’attitude jusqu’à la fin de sa vie, où il fit quelque chose dont beaucoup pourront s’étonner : il acheta du grain à crédit à un juif, lui laissant en gage une armure de fer ![34]
Ce qui est étonnant, c’est qu’il y avait beaucoup de Compagnons riches à Médine et qu’ils n’avaient personne de plus cher que le Prophète (paix et salut à lui). Il aurait pu facilement leur demander de lui offrir du grain, ou au moins de lui en prêter, ou encore mettre son armure en gage chez l’un d’entre eux. Il est clair toutefois que le Prophète (paix et salut à lui) a agi ainsi pour montrer aux musulmans que c’était licite et pour leur enseigner à entretenir des relations normales avec les juifs tant que ces derniers respectaient les rapports de voisinage et n’enfreignaient pas les droits des musulmans : ces relations pouvaient aller jusqu’à la mise en gage d’une armure, qui comme on le sait est un élément d’équipement militaire important, une marque de confiance s’il en est.
Le Prophète (paix et salut à lui) entretenait également des relations semblables avec les chrétiens. Il conclut des traités avec eux à plusieurs reprises. Il reconnaissait leur existence malgré des divergences religieuses sur bien des points, dont certains points importants en claire contradiction avec l’unicité divine. Malgré cela et les craintes qu’il avait pour leur sort dans l’au-delà, il ne les obligea pas à changer de religion. Allah dit, dans un verset adressé au Prophète (paix et salut à lui) : « Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? »[35]
La seule éventualité admise était celle de la prédication par la meilleure exhortation, de l’explication limpide et de la clarification, après quoi l’être humain est totalement libre de son choix. Allah dit : « Que celui qui le veut croie donc, et que celui qui le veut mécroie. »[36] C’est selon ce principe que le Prophète (paix et salut à lui) a accepté que les juifs restent juifs et que les chrétiens restent chrétiens, et que différents groupes continuent à entretenir de bonnes relations pacifiques.
Le principe général est donc clair : « Pas de contrainte en religion. »[37] Celui qui adopte l’islam sans le désirer vraiment n’apporte rien ni à lui-même ni à la société. Il n’y aurait donc pas de sens à accepter des conversions de surface de la part de gens qui resteraient au fond d’eux-mêmes mécréants, ni non plus à persister dans des rapports de conflit et de haine mutuelle. La vie doit suivre son cours normal avec les communautés non musulmanes, jusqu’au Jour où Allah tranchera les différends entre Ses serviteurs : « Allah arbitrera le Jour de la Résurrection ce sur quoi ils divergeaient. »[38]
Durant une grande partie de sa vie, le Prophète (paix et salut à lui) a même accepté la coexistence avec les polythéistes. Des versets révélés à La Mecque incitaient à cette attitude ; Allah dit en effet : « A vous votre religion et à moi ma religion. »[39] Il dit encore : « Prends ce qui est aisément supportable, ordonne le bien et détourne-toi des ignorants. »[40] Ou bien : « Et détourne-toi des idolâtres. »[41]
Telle était donc l’attitude du Prophète (paix et salut à lui) envers les polythéistes à La Mecque. Cependant, ils menèrent contre lui une guerre ouverte, ils le persécutèrent et ils s’acharnèrent sur ses Compagnons pour les chasser de chez eux, usant de tous les moyens de pression : il était alors indispensable de résister et de se battre.
Malgré cette reconnaissance de l’autre quel qu’il soit, malgré cette acceptation de toutes les religions aussi vastes que puissent être leurs divergences doctrinaires avec l’islam, malgré cette douceur et cette bienveillance permanentes… malgré tout ce qu’a fait le Prophète (paix et salut à lui), les autres l’ont-ils reconnu ?
C’est sur ce point que nous allons nous pencher dans les pages qui vont suivre.
[1] Les parties du Coran révélées à La Mecque, durant la première phase de la mission prophétique (NdT).
[2] Sourate 28, al-Qasas, verset 14.
[3] Sourate 7, al-A`râf, verset 144.
[4] Sourate 19, Maryam, versets 30-33.
[5] Sourate 6, al-An`âm, verset 85.
[6] Sourate 33, al-Ahzâb, verset 7.
[7] Sourate 2, al-Baqara, verset 136.
[8] Sayyid Qutb, Fî zilâl al-qur’ân, 1/423.
[9] Ibn Kathîr, Commentaire du Coran, 1/503.
[10] Sourate 4, an-Nisâ’, versets 150-151.
[11] Rapporté par al-Bukhârî d’après Abû Sa`îd al-Khudrî (qu'Allah l’agrée) : Livre des différends, chapitre : « Ce qui est dit des individus, de la compagnie et des différends entre musulmans et juifs (2281) ; et Muslim, Livre des vertus, chapitre « Les vertus de Moïse (la paix soit sur lui) » (2374).
[12] Al-Bukhârî, Livre des prophètes, chapitre du verset « Jonas fait partie des messagers » (32333), at-Tirmidhî (3245) et Ibn Mâjah (4274).
[13] Rapporté par al-Bukhârî d’après Abû Hurayra, Livre des vertus, chapitre « Le sceau des prophètes » (3342) ; et Muslim, Livre des mérites, chapitre : « La mention du fait que le Prophète (paix et salut à lui) est le sceau des prophètes » (2286).
[14] Al-Bukhârî d’après Ibn `Abbâs : Livre du jeûne, chapitre « Le jeûne d’Achoura » (1900) ; Muslim, Livre du jeûne, chapitre « Le jeûne le jour d’Achoura » (1130).
[15] C’est-à-dire que leurs différentes voies sont fondées sur les mêmes principes tout en variant dans leur mise en pratique en fonction de leur époque et de l’étendue de leur champ d’application. Voir l’explication d’an-Nawawî, al-Minhâj fî sharh Sahîh Muslim ibn al-Hajjâj15/119.
[16] Al-Bukhârî d’après Abû Hurayra, Livre des prophètes, chapitre du verset « Mentionne dans le Livre Marie, quand elle s’isola de sa famille, en un lieu situé à l’Orient » (3259) ; et Muslim, Livre des mérites, chapitre « Le mérite de Jésus (la paix soit sur lui) » (2365).
[17] Sourate 14, Ibrâhîm, verset 36.
[18] Sourate 5, al-Mâ’ida, verset 118.
[19] Sourate 71, Nûh, verset 26.
[20] Sourate 10, Yûnus, verset 88.
[21] Rapporté par Ahmad d’après `Abdallâh ibn Mas`ûd (3632), par al-Bayhaqî dans ses Sunan (12623), et par al-Haythamî (Majma` az-zawâ’id 6/115) qui en dit : « La chaîne des narrateurs comporte Abû `Ubayda qui n’a pas entendu les hadîth de son père, mais les narrateurs sont dignes de confiance. »
[22] Voir Coran, sourate 18, al-Kahf, versets 65-82 (ndt).
[23] Al-Bukhârî, Livre de la science, chapitre : « Il est recommandé au savant, si l’on demande qui est le plus savant des hommes, d’attribuer la science à Allah » (122) ; Livre des prophètes, chapitre : « Ce qui est arrivé à al-Khidr et Moïse (la paix soit sur lui) » (3220) ; et Muslim, Livre des mérites, chapitre : « Les mérites d’al-Khidr (la paix soit sur lui) » (2380).
[24] Sourate 11, Hûd, verset 80.
[25] Al-Bukhârî d’après Abû Hurayra (qu'Allah l’agrée), Livre des prophètes, chapitre du verset : « Et parle-leur de l’hôte d’Abraham » (3192) ; et Muslim, Livre des mérites, chapitre : « Les mérites d’Abraham (la paix soit sur lui), l’ami privilégié d'Allah » (151).
[26] Voir le hadîth rapporté par Muslim d’après Suhayb, Livre des menus faits, chapitre : « Le récit des Gens du Fossé, du magicien, du moine et du jeune garçon » (3005) ainsi que par Ahmad (23976).
[27] Le récit du chauve, de l’aveugle et du lépreux mis à l’épreuve par Allah est rapporté par al-Bukhârî d’après Abû Hurayra, Livre des prophètes, chapitre « Ce qui a été dit sur les Enfants d’Israël » (3277) et par Muslim au début du Livre de l’ascèse et des menus faits (2964).
[28] Le récit au sujet de l’ermite Jurayj et de l’enfant qui avait parlé au berceau est rapporté par al-Bukhârî d’après Abû Hurayra, Livre des actions durant la prière, chapitre : « Lorsqu’une mère appelle son enfant durant la prière » (1148) ; et par Muslim, Livre de la piété filiale et de l’éducation, chapitre : « La précédence de la piété filiale sur la prière surérogatoire » (2550).
[29] Rapporté par al-Bukhârî, Livre de la contrainte, chapitre : « Ceux qui ont été frappés, tués et humiliés pour leur faire renier leur religion » (6544), et par Ahmad (21106).
[30] Waraqa ibn Nawfal ibn Asad ibn `Abd al-`Uzza ibn Qusay était devenu chrétien à l’époque préislamique. Lorsque le Prophète (paix et salut à lui) reçut la première révélation dans la grotte de Hirrâ’, son épouse Khadîja l’emmena voir Waraqa. Ce dernier dit en apprenant ce qui s’était passé : « C’est l’Esprit (c’est-à-dire la révélation) qui est descendu sur Moïse. » Voir Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba 5/463-465, et Ibn Mâjah, al-Isâba 6/607.
[31] Al-Bukhârî, Livre du commencement de la révélation, chapitre : « Le commencement de la révélation au Prophète (paix et salut à lui) » ; Muslim, Livre du commencement de la révélation au Prophète (paix et salut à lui) (160).
[32] Rapporté par al-Hâkim dans al-Mustadrak (4211) d’après `Aïsha (qu'Allah l’agrée) : il le déclare authentique selon la norme d’al-Bukhârî et Muslim mais non cité par eux ; adh-Dhahabî indique dans at-Talkhîs que ce récit est authentique selon la norme d’al-Bukhârî et Muslim, et al-Albânî le considère authentique : voir Sahîh al-jâmi` (7320).
[33] Voir par exemple : al-Bukhârî, hadîth n°2768 et n°2109 ; Muslim, hadîth n°2944 et n°155.
[34] Al-Bukhârî d’après `Aïsha, Livre des gages, chapitre : « Celui qui laisse son armure en gage » (2374) ; Muslim, Livre de l’arrosage, chapitre : « Il est permis de laisser des gages que l’on soit présent chez soi ou en voyage » (1603).
[35] Sourate 10, Yûnus, verset 99.
[36] Sourate 18, al-Kahf, verset 29.
[37] Sourate 2, al-Baqara, verset 256.
[38] Sourate 45, al-Jâthiya, verset 17.
[39] Sourate 109, al-Kâfirûn, verset 6.
[40] Sourate 7, al-A`râf, verset 199.
[41] Sourate 15, al-Hijr, verset 94.
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