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Il faut avant tout noter que ceux qui, dans la civilisation musulmane, s’engageaient dans la recherche du savoir, se fixaient un objectif immense
Il faut avant tout noter que ceux qui, dans la civilisation musulmane, s’engageaient dans la recherche du savoir, se fixaient un objectif immense : il s’agissait de faire progresser et d’élever leur civilisation au niveau des civilisations universelles, non pas tant comme un but en soi que comme moyen de satisfaire leur Seigneur.
On ne peut que s’étonner de lire que dans la civilisation grecque antique les savants, mal considérés, étaient l’objet des moqueries du peuple.[1]
Dans la civilisation musulmane, par contre, il est clairement affirmé depuis la révélation du Coran que les savants sont les êtres qui craignent le plus Dieu : « Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Dieu. »[2] Ces valeurs divines ont été ancrées dans le cœur de chaque individu de cette civilisation et les musulmans ont su que les savants étaient les véritables maîtres de la nation. En effet, comme l’a dit le Prophète (paix et salut à lui), « les savants sont les héritiers des prophètes. »[3]
C’est dans cet esprit que des milliers d’individus de cette civilisation se sont levés, dès les premiers temps, pour rechercher le savoir partout où il se trouvait. L’action de ces savants offre à tous un exemple éternel.
Quelques qualités requises pour la recherche du savoir
La modestie et l’humilité étaient parmi les grandes qualités de ceux qui s’engageaient dans la recherche du savoir. Ainsi, l’érudit de cette communauté, `Abdallâh ibn `Abbâs (que Dieu l’agrée ainsi que son père) fait le récit suivant : « Après la mort du Prophète (paix et salut à lui), je dis à un homme des Ansâr : ‘Allons interroger les Compagnons du Prophète (paix et salut à lui).’ Il répondit : ‘Voilà qui est étonnant de ta part, Ibn `Abbâs ! Penses-tu que les gens auront besoin de toi, alors que tous ces Compagnons du Prophète (paix et salut à lui) sont parmi eux ?’ Il ne fit donc rien. Quant à moi, je me mis à interroger les Compagnons du Prophète (paix et salut à lui) sur ses paroles. Il arrivait que j’apprenne que quelqu’un connaissait un hadîth et que, arrivé devant sa porte, je le trouve en train de faire la sieste. J’attendais alors à sa porte avec mon manteau pour coussin, exposé au vent qui me couvrait de poussière. Puis l’homme sortait et, me voyant ainsi, me disait : ‘Ô cousin du Prophète (paix et salut à lui), qu’est-ce qui t’amène ? Pourquoi ne pas m’avoir envoyé chercher, pour que je vienne moi-même te voir ?’ Je répondais : ‘C’est à moi de venir chez toi’, et je lui demandais le hadîth. Cet homme des Ansâr vécut assez vieux pour voir les gens s’assembler autour de moi pour m’interroger. Il dit alors : ‘Ce jeune homme a été plus intelligent que moi.’ »[4]
La rivalité dans la recherche du savoir était l’une des caractéristiques de cette civilisation. A chaque époque de cette civilisation, nous trouvons des récits au sujet d’amis rivalisant dans l’acquisition d’une science importante. Certains de ces récits sont pleins d’enseignements. Ainsi, l’érudit de Médine Sâlih ibn Kaysân (mort en 140H) a relaté : « Az-Zuhrî et moi, nous recherchions tous deux le savoir. Nous dîmes : nous allons écrire les traditions. Nous écrivîmes donc ce qui était rapporté du Prophète (paix et salut à lui). Puis il me dit : ‘Ecrivons maintenant ce qui est rapporté de ses Compagnons : cela fait aussi partie de la sunna.’ Je répondis : ‘Cela ne fait pas partie de la sunna, je ne l’écrirai pas.’ Il écrivit alors ce qui était rapporté des Compagnons et je ne l’écrivis pas : il fut ainsi gagnant là où j’étais perdant. »[5]
La civilisation musulmane et le souci de la quête du savoir
Il est remarquable de constater que les califes et les princes s’attachaient depuis leur plus jeune âge à rechercher le savoir. Certains avaient la nostalgie de leur jeunesse vouée à l’étude et enviaient le sort des étudiants pauvres qui poursuivaient la science sans relâche. Ainsi, « al-Mansûr (mort en 158H) étudiait auprès de maîtres, dans sa jeunesse, le hadîth et la jurisprudence. Au sommet de la prospérité, on lui demanda un jour : ‘Commandeur des Croyants, reste-t-il un bonheur que tu ne possèdes pas ?’ Il répondit : ‘Une seule chose.’ On lui demanda : ‘Quoi donc ?’ Il répondit : ‘Lorsque le chercheur en hadîth demande au maître : raconte, que Dieu te fasse miséricorde.’ Ses ministres et ses secrétaires s’assirent autour de lui et dirent : ‘Que le Commandeur des Croyants nous dicte quelque hadîth.’ Il répondit : ‘Vous n’êtes pas comme eux. Ceux-là ont les vêtements sales, les pieds crevassés, les cheveux longs. Ils ont voyagé et parcouru de longues distances, parfois en Irak, parfois au Hedjaz, parfois en Syrie, parfois au Yémen, afin de collecter les hadîth. »[6]
Les parents étaient attentifs à l’éducation de leurs enfants. Ils les incitaient à l’étude dès leur plus jeune âge et leur apprenaient à voyager à la recherche du savoir. Ainsi, le savant andalou al-Humaydî (né avant 420H) a relaté comment son père l’avait porté sur ses épaules pour aller écouter les hadîth en 425H. Il partit en voyage en 448H et se rendit en Egypte. En Andalousie, il avait étudié auprès d’Ibn `Abd al-Barr et Ibn Hazm. Il avait fréquenté le cercle de ce dernier, avait lu devant lui ses ouvrages et avait beaucoup appris de lui. Connu comme l’un de ses proches, il s’était rangé à son école mais ne le montrait pas. Il écouta à Damas et ailleurs, rapporta d’après al-Khatîb al-Baghdâdî et transcrivit la plupart de ses ouvrages. Il écouta al-Zanjânî à La Mecque et résida à al-Wâsita après son départ de Bagdad. Il revint ensuite à Bagdad et s’y installa. Il écrivit de nombreux recueils de hadîth et des ouvrages divers. Il était l’un des imams des musulmans par sa vaste érudition, l’étendue de sa connaissance, sa fiabilité, sa sincérité, son caractère, sa piété et sa vertu. Un haut personnage ayant fréquenté les imams dit de lui : « Mes yeux n’ont vu personne d’aussi noble et vertueux, d’aussi savant et d’aussi empressé à diffuser le savoir qu’Abû `Abdallâh al-Humaydî. »[7]
Plus étonnant encore, les pères accompagnaient leurs fils dans leurs voyages à la recherche du savoir. Ce fut le cas pour `Ubâda ibn al-Walîd ibn `Ubâda ibn as-Sâmit et son père al-Walîd. Il a relaté : « Je partis en voyage avec mon père pour rechercher le savoir auprès de ce clan des Ansâr avant qu’ils ne disparaissent. Le premier que nous rencontrâmes fut Abû al-Yusr, le Compagnon du Prophète (paix et salut à lui), accompagné d’un serviteur. Il narra alors des hadîth. »[8]
Les voyages d’étude des parents accompagnés de leurs enfants furent ainsi une contribution nouvelle à la civilisation humaine. Ceci avait lieu dans toutes les catégories de la société. Ainsi, le Commandeur des Croyants Sulaymân ibn `Abd al-Malik partit en voyage pour aller recontrer `Atâ’ en compagnie de ses deux fils. « Ils s’assirent près de lui tandis qu’il priait. Lorsqu’il eut terminé, ils l’interrogèrent sur les rites du pèlerinage. Il s’était tourné vers eux. Puis Sulaymân dit à ses fils : ‘Levez-vous.’ Ils se levèrent. Il leur dit alors : ‘Mes enfants, ne vous éloignez pas de la recherche du savoir.’ »[9] De même, Hârûn ar-Rashîd partit à Médine avec ses deux fils al-Amîn et al-Ma’mûn pour écouter le Muwattâ’ de l’imam Mâlik.[10]
Certains pères interdisaient à leurs enfants de partir rechercher le savoir, en raison de conditions de vie difficile et d’un manque de moyens. Cependant, la société incitait à aider ces étudiants méritants à mener à bien leurs études. Ibn Kathîr rapporte que « Hâshim ibn Bashîr ibn Abî Hâzim al-Qâsim Abû Mu`âwiya as-Salmî al-Wâsitî avait pour père un cuisinier d’al-Hajjâj ibn Yûsuf, qui devint par la suite vendeur de condiments, et qui lui interdisait d’aller étudier afin qu’il l’aide dans son travail. Hâshim, pour sa part, ne voulait qu’aller écouter les hadîth. Un jour Hâshim tomba malade et Abû Shayba, le qâdî de Wâsit, lui rendit visite avec un groupe important de personnes. Lorsque Bashîr le vit, il s’en réjouit et dit : ‘Mon fils, voici que le qâdî vient te rendre visite chez moi ? Je te t’empêcherai plus à partir d’aujourd’hui d’aller étudier les hadîth.’ Hâshim devint un grand savant. Il rapporta les hadîth d’après Mâlik, Shu`ba[11], ath-Thawrî[12] et de nombreux autres. C’était un personnage vertueux et pieux. »[13]
Cette responsabilité sociale qui amenait le qâdî de la ville et nombre de ses notables à rendre visite à un jeune homme pauvre et inconnu, qui ne possédait d’autre richesse ici-bas que sa passion de l’étude et ses efforts pour y exceller, montre combien la civilisation musulmane respectait le savoir et tous ceux qui y participaient, depuis les étudiants jusqu’aux savants et aux enseignants. Cette anecdote et d’autres du même ordre soulignent clairement que la civilisation musulmane accordait à ceux qui recherchaient le savoir une grande considération sociale : ce n’était pas le cas dans les autres civilisations, où le succès matériel représenté par l’argent, le pouvoir, la force et le prestige était valorisé plus que tout.
Les mères jouaient un rôle non négligeable en encourageant leurs enfants à l’étude. Certaines d’entre elles sont d’excellents exemples montrant combien les femmes étaient conscientes à ces époques éternelles. Parmi ces nobles mères, on peut citer la mère de Rabî`a ar-Ra’yy, cheikh de l’imam Muslim. Son époux Farrûkh fut envoyé avec les missions au Khorassan à l’époque des Omeyyades, la laissant enceinte de Rabî`a : elle dut l’élever et l’éduquer elle-même. Il lui laissa une somme de trente mille dinars. Lorsqu’il revint au bout de vingt-sept ans, il entra dans la mosquée de Médine et y vit un cercle d’enseignement rassemblant un grand nombre de personnes. Il s’approcha et s’arrêta à proximité. Il y avait parmi l’auditoire Mâlik, al-Hasan et les notables de Médine. Lorsqu’il demanda qui était le maître de ce cercle, on lui répondit que c’était Rabî`a ibn Abî `Abd ar-Rahmân, c’est-à-dire son fils !
Il rentra chez lui et dit à la mère, son épouse : « J’ai vu ton fils dans une situation où je n’ai vu aucun savant ou juriste auparavant. » Elle lui demanda : « Que préfères-tu : trente mille dinars, ou la situation où tu l’as trouvé ? » Il répondit : « Par Dieu, je préfère cette situation. » Elle dit alors : « J’ai dépensé tout l’argent pour lui. » Il répondit : « Par Dieu, tu ne l’as pas gaspillé ! »[14]
[1] Adam Mitz, Islamic Civilization in the Fourth Hijri Century 1/327.
[2] Sourate 35, Fâtir, verset 28.
[3] Sunan d’Abû Dâwud (3641), Sunan d’at-Tirmidhî (2682).
[4] Al-Fasawî, al-Ma`rifa wat-târîkh 1/298.
[5] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya 9/376-377.
[6] Ibn `Asâkir, Târîkh madînat Dimashq 32/330.
[7] Al-Muqrî, Nafh at-tayb 2/113.
[8] Adh-Dhahabî, Târîkh al-islâm 1/341.
[9] Ibn `Asâkir, Târîkh madînat Dimashq 40/375.
[10] Adh-Dhahabî, Târîkh al-islâm 40/41.
[11] Abû Bistâm Shu`ba ibn al-Hajjâj ibn al-Wird al-Azadî al-Basrî (82-160H/701-776), imam du hadîth, de la poésie et des lettres. Ash-Shâfi`î a dit de lui : « Sans Shu`ba, je n’aurais pas appris les hadîth en Irak. » Voir az-Zarkalî, al-A`lâm 3/164.
[12] Sufyân ath-Thawrî, Abû `Abdallâh Sufyân ibn Sa`îd ibn Masrûq ath-Thawrî (97-161H/716-778), prince du hadîth. Il naquit et grandit à Kûfa et mourut à Bassorah. Compilateur des recueils de hadîth al-Jâmi` al-kabîr et al-Jâmi` as-saghîr. Voir az-Zarkalî, al-A`lâm 3/104.
[13] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya 10/198.
[14] Ibn Khallikân, Wafayât al-a`yân 2/289-290.
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