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Tout comme les peuples divers qui se sont ralliés à l’islam ont été un facteur majeur d’enrichissement de la civilisation
Tout comme les peuples divers qui se sont ralliés à l’islam ont été un facteur majeur d’enrichissement de la civilisation, l’ouverture vers les civilisations plus anciennes et l’assimilation de leurs apports ont joué un rôle considérable dans l’édification et l’essor de la civilisation musulmane.
Les musulmans ont, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, appliqué le principe de l’ouverture vers les autres civilisations. Ils ont su tirer parti des efforts accomplis avant eux. Le Prophète (paix et salut à lui) lui-même avait initié cette attitude d’ouverture, cette vision dénuée de sectarisme : on se rappelle comment il recommanda à Sa`d ibn Abî Waqqâs (que Dieu l’agrée) d’aller se faire soigner par al-Hârith ibn Kalada ath-Thaqafî, qui était un médecin idolâtre ! Cela ne lui posait aucun problème, car la médecine fait partie des sciences de la vie et appartient à ce titre au patrimoine commun de l’humanité. Sa`d a rapporté : « Comme j’étais malade, le Prophète (paix et salut à lui) me rendit visite. Il posa sa main sur ma poitrine, et j’en sentis la fraîcheur sur mon cœur. Puis il me dit : ‘Tu souffres du cœur. Va voir al-Hârith ibn Kalada de Thaqîf : il pratique la médecine. Il prendra sept dattes `ajwa de Médine, les moudra avec leurs noyaux et t’administrera ce remède.’ »[1]
Admirons encore comment le Prophète (paix et salut à lui) a recommandé à Zayd ibn Thâbit d’apprendre le syriaque. Zayd apprit cette langue en soixante jours, et il apprit également la langue des Perses et celle des Byzantins.
Cette attitude eut par la suite des répercussions évidentes sur l’histoire musulmane. Lorsque les Arabes sortirent d’Arabie pour diffuser le message de l’islam de par le monde comme ils en avaient reçu la mission, ils rencontrèrent différentes civilisations. Loin de les détruire ou de les écraser, ils s’employèrent à les étudier afin d’en tirer le meilleur profit : ils purent ainsi adopter tout ce qui était utile et compatible avec leur religion. A l’inverse, les autres civilisations étaient restées fermées sur elles-mêmes, ne s’adressant et ne s’intéressant qu’à leurs propres savants : c’était le cas en Grèce, en Perse, en Chine ou en Inde, une attitude qui dans certains cas comme celui de la Chine ou de l’Inde s’est poursuivie jusqu’à une époque récente.
Les musulmans se sont lancés très tôt dans une vaste entreprise de traduction et d’intégration des connaissances des autres. Ce fut le prince omeyyade Khâlid ibn Yazîd[2] qui le premier commença à traduire les ouvrages scientifiques grecs en arabe, puis à assimiler et développer ces connaissances : il travailla particulièrement sur les remèdes et la médecine et sur les équations chimiques.
Un grand mouvement d’essor intellectuel se produisit à l’époque où le califat omeyyade assit son pouvoir politique et atteignit la prospérité économique. Les connaissances des peuples non-arabes furent assimilées après la chute de leurs systèmes politiques : de nombreux ouvrages scientifiques des civilisations antérieures furent traduits en arabe, depuis le grec, le turc ou d’autres langues. La disponibilité de ces connaissances en langue arabe marque une étape importante dans l’évolution de la civilisation : pour la première fois, les savants arabes et musulmans avaient accès aux savoirs et aux sciences produits par d’autres.
Les sciences expérimentales formaient une partie importante de ces sciences traduites. La plus importante de toutes était la médecine. Au début de cette époque, la médecine islamique se basait sur les recommandations du Prophète (paix et salut à lui), sur les herbes et plantes médicinales, la cautérisation, la saignée, la circoncision et quelques opérations chirurgicales simples. Lorsque les médecins arabo-musulmans commencèrent à avoir connaissance de la médecine grecque à travers l’école d’Alexandrie et celle de Jundishapur[3], ils se mirent à traduire en arabe les ouvrages de médecine.[4] En particulier, Masarjawaih, un médecin juif qui fut l’un des plus grands traducteurs de l’époque, traduisit une encyclopédie médicale grecque intitulée le Kunnash pour le calife Marwân ibn al-Hakam (64-65H).[5]
Ce mouvement de traduction prit une grande ampleur à l’époque abbasside, en particulier sous le cinquième calife Hârûn ar-Rashîd (170-194H). Ce dernier fonda l’institution nommée Bayt al-Hikma (la Maison de la Sagesse) qu’il fit équiper en livres apportés d’Asie mineure et de Constantinople. A son tour, le septième calife abbasside al-Ma’mûn (198-218H) déploya d’importants moyens pour développer Bayt al-Hikma et multiplier les subventions aux traducteurs. Il envoya des missions à Constantinople pour rassembler des ouvrages grecs dans tous les domaines de la connaissance. Un autre fait remarquable est que les traités conclus par les califes musulmans avec les autres Etats incluaient des clauses stipulant que les savants musulmans auraient accès aux bibliothèques des églises et des palais byzantins afin de les traduire. On échangeait même parfois des prisonniers contre des livres ![6]
Dans son célèbre ouvrage al-Fihrist, Ibn an-Nadîm[7] recense et présente près de soixante-dix savants : des traducteurs et des médecins, des savants et des philosophes, des ingénieurs et des astronomes, qui vécurent tous entre le troisième et le quatrième siècle de l’hégire, qui étaient pour la plupart syriaques ou bien musulmans d’origine perse ou indienne. Ceci est une indication claire de l’importance de cette démarche de l’ouverture vers les autres et vers les cultures antiques antérieures à l’islam, dans l’enrichissement et l’édification de la civilisation scientifique musulmane.
Il faut remarquer encore que cette ouverture vers les autres ne se faisait pas aveuglément : elle obéissait généralement aux valeurs et aux principes des musulmans, en conformité avec leur noble religion. Ainsi, ils se sont ouverts à la civilisation grecque mais ils n’en ont pas adopté les lois. Ils n’ont pas traduit l’Iliade, ni la littérature païenne des Grecs : ils se sont contentés d’apprendre à répertorier les savoirs et de traduire les sciences naturelles. De même, ils se sont ouverts à la civilisation perse mais ils n’ont pas adopté leurs usages destructeurs. Ils ont tiré profit de l’art littéraire des Perses et de leur organisation administrative. Ils se sont ouverts à la civilisation indienne mais ils ont laissé de côté sa philosophie et ses religions pour n’en prendre que le calcul et l’astronomie, sciences qu’ils ont apprises, développées et considérablement enrichies.
En outre, les emprunts des musulmans aux autres civilisations ne peuvent nullement leur être reprochés, bien au contraire : ils sont la preuve de l’ouverture d’esprit des musulmans, prêts à accepter ce qui venait des autres. La contribution des musulmans au progrès de l’humanité a consisté à reprendre le flambeau là où d’autres s’étaient arrêtés, puis à aller de l’avant (comme nous allons le voir, avec l’aide de Dieu, dans les chapitres qui vont suivre) pour poursuivre le cheminement entamé par les civilisations précédentes
[1] Abû Dawud, Livre de la médecine, chapitre « Les dattes `ajwa » (3875). Selon Ibn Hajar al-`Asqillânî, c’est un hadîth bon ; cité dans al-Muqaddima. Voir Hidâyat ar-ruwât 4/159. `Abd al-Haqq al-Ishbîlî avance dans Muqaddimat al-ahkâm as-sughrâ que ce texte est authentique de par sa chaîne de transmission : voir al-Ahkâm as-sughrâ, p. 837.
[2] Abû Hâshim Khâlid ibn Yazîd ibn Mu`âwiya ibn Abî Sufyân al-Umawî al-Qurashî était un des hommes les plus savants de Quraysh, particulièrement versé dans la chimie et la médecine. Il est mort à Damas en 90H/708. Voir as-Safdî, al-Wâfî bil-wafayât13/164-166.
[3] Jundishapur : ville du Khuzestan (sud-ouest de l’Iran) fondée par Shapur 1er pour y placer ses prisonniers romains.
[4] Voir `Alî ibn `Abdallâh ad-Dafâ`, Ruwâd `ilm at-tibb fî l-hadâra al-`arabiyya wal-islâmiyya, p. 68.
[5] Voir Ibn Abî Usaybi`a, Tabaqât al-atibbâ’ 1/163, et Shams ad-Dîn ash-Shahrazûrî, Târîkh al-hukamâ’ p. 80.
[6] Voir Ibn an-Nadîm, al-Fihrist, p. 243, et Muhammad as-Sâdiq `Afîfî, Tatâwur al-fikr al-`ilmî `inda l-muslimîn, p. 39.
[7] Ibn an-Nadîm, Abû al-Faraj Muhammad ibn Ishâq al-Baghdâdî (mort en 438H/1047), écrivain et chroniqueur chiite mu’tazilite, auteur du Fihrist. Voir Ibn Hajar, Lisân al-mîzân 5/72, et az-Zarkalî, al-A`lâm 6/29.
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