Short Description
Les instituts ont commencé à se développer dans la civilisation musulmane depuis le cinquième siècle de l’hégire, en raison du trop grand nombre de cercles d’enseignement dans les mosquées
Les instituts ont commencé à se développer dans la civilisation musulmane depuis le cinquième siècle de l’hégire, en raison du trop grand nombre de cercles d’enseignement dans les mosquées. La première mosquée où fut créé un institut (madrasa) fut la mosquée d’al-Azhar en 378H. Les instituts se sont ensuite multipliés dans les villes du monde musulman tout entier, de l’Andalousie à l’Orient. Ils étaient financés par de nombreuses fondations émanant des dons des plus riches : les chefs militaires, les savants, les commerçants, les rois et les princes.
Les instituts ont joué un grand rôle dans le rayonnement de la civilisation musulmane dans ses premiers siècles. Ainsi, Ibn Kathîr écrit dans sa chronique de l’an 383H, que le vizir Abû Nasr Sâbûr ibn Ardashîr[1] avait acheté « une maison à Karakh, l’avait rénovée et y avait installé de nombreux livres, puis en avait fait une fondation dédiée aux juristes et l’avait appelée ‘la Maison du Savoir’. Je (Ibn Kathîr) pense que ce fut le premier institut dédié aux juristes, longtemps avant ‘an-Nizâmiyya’. »[2]
Les instituts ne tardèrent pas à se répandre un peu partout et à s’agrandir. A Damas, le premier institut fut construit en 391H par Shujâ` ad-Dawla Sâdir ibn `Abdallâh[3] et dénommé en conséquence al-madrasa as-sâdiriyya. Il fut suivi par le récitateur de Damas, Rasha’ ibn Nazîf[4], qui fonda la madrasa ar-rashâ’iyya aux alentours de l’an 400H. Ces instituts permirent aux étudiants qui suivaient les cercles d’enseignement dans la mosquée de se réunir dans des lieux consacrés à l’étude de telle ou telle science. Des subventions étaient allouées aux étudiants et à leurs maîtres et les conditions favorables à l’étude leur étaient fournies.[5]
Ces instituts étaient à l’origine familiaux, puis l’Etat califal est intervenu dans leur création et leur administration à l’initiative du célèbre vizir Nizâm al-Mulk at-Tûsî[6]. A partir de son époque, les instituts devinrent étatiques : c’était l’Etat qui les finançait et y faisait venir les enseignants.
La contribution de ce vizir à la civilisation islamique a immortalisé son nom, au-delà de toute son action dans le domaine de la gouvernance et de la politique : il a fondé dans différentes régions de la nation des instituts qui ont été appelés de son nom, al-madâris an-nizâmiyya, et qui constituent le premier réseau d’institutions scientifiques dans l’histoire de l’islam. L’Etat subvenait aux besoins des étudiants et prenait en charge l’enseignement. Les instituts nizâmiyya étaient consacrés à l’enseignement du droit et des hadîth. Les étudiants y étaient nourris et un grand nombre d’entre eux recevaient des subventions mensuelles.
Sous l’impulsion de Nizâm al-Mulk et suite à son désir de voir s’ouvrir des instituts dans toutes les régions, l’Irak et le Khorassan virent naître des dizaines d’instituts. Comme on l’a écrit à son sujet, « Il avait un institut dans chaque ville d’Irak et du Khorassan. Il fondait des instituts même dans les lieux éloignés. Chaque fois qu’il trouvait dans un village un savant qui se distinguait par l’étendue de son savoir, il lui construisait un institut et le dotait d’une subvention, puis y adjoignait une bibliothèque. L’enseignement était gratuit et les étudiants pauvres recevaient en plus de cela une aide financière grâce à un fonds réservé à cela. »[7]
La madrasa an-nizâmiyya de Bagdad figure parmi les plus prestigieux des instituts fondés parmi Nizâm al-Mulk. Sa construction commença en 457H et s’acheva en 459H. Le calife abbasside était si intéressé par ce projet qu’il nommait personnellement les enseignants. On y enseignait la jurisprudence et le hadîth, ainsi que les sciences associées. Les plus grands noms de la culture musulmane y ont enseigné, en particulier hujjat al-islâm Abû Hâmid al-Ghazâlî l’auteur de Ihyâ’ `ulûm ad-dîn (Revivification des sciences religieuses).[8] Abû al-Ma`âlî al-Juwaynî[9], « l’imam des lieux saints », enseignait quant à lui à la nizâmiyya de Nishapur.[10]
Ces instituts fondés dans des villes telles que Bagdad, Ispahan ou Nishapur, ont contribué à raffermir les bases du sunnisme et à le défendre contre le foisonnement de sectes et d’hérésie qui se propageaient à cette époque. Nizâm al-Mulk dépensait chaque année pour les savants et les juristes de ses instituts jusqu’à trois cent mille dinars. Lorsque le sultan seljoukide Malik Shah le lui reprocha, le vizir éclairé répondit : « Dieu Tout-Puissant t’a donné, et m’a donné grâce à toi, ce qu’Il n’a donné à aucune autre de Ses créatures. Ne pouvons-nous pas à notre tour dépenser trois cent mille dinars pour promouvoir Sa religion et préserver Son Livre ? »[11]
Le développement des instituts dans la civilisation musulmane depuis le quatrième siècle de l’hégire (dixième siècle apr. J.-C.) montre bien comment, dès ses débuts, la civilisation musulmane a su diffuser le savoir au sein de toutes les catégories sociales. Ceci n’existait dans aucune civilisation d’Orient ni d’Occident. Il est bon de rappeler qu’à la même époque, l’Europe ne possédait que quelques rudiments de savoir. L’accès à la connaissance était alors réservé à l’Eglise, de sorte que les Européens vivaient dans l’obscurantisme et l’ignorance, en proie à de violentes guerres tribales. Les tribus germaniques, en particulier, étaient en lutte constante soit contre l’Empire romain, soit entre elles. La hiérarchie sociale était très fermement implantée en Europe, ce qui a beaucoup contribué au déclin et à la négligence du système éducatif.[12]
Même durant les périodes de l’affaiblissement politique et militaire de l’Etat musulman, le dynamisme scientifique et intellectuel est demeuré intact. Ainsi, la Madrasa al-Mustansiriyya a été construite en 631H/1233, à l’époque où les Tatars envahissaient la partie orientale du monde musulman et menaçaient directement le califat abbasside. Cette institution éternelle a donc été fondée alors que le califat abbasside vivait ses pires moments. Ibn Kathîr écrit au sujet de cette madrasa : « Jamais un tel institut n’a été construit auparavant. Il abrite soixante-deux juristes des quatre écoles et quatre répétiteurs, un enseignant pour chaque école, un maître de hadîth, deux récitateurs et dix auditeurs, un maître de médecine, dix musulmans qui étudient la médecine, une école pour les orphelins. On fournit à tout ce monde du pain, de la viande, des pâtisseries en quantité suffisante pour couvrir largement les besoins de chacun. Un jeudi, le cinquième jour du mois de rajab, j’ai assisté aux premiers cours. Le calife al-Mustansir Billâh en personne était présent, ainsi que tout son gouvernement, émirs, ministres, juges et juristes, mystiques et poètes. Tout le monde était là sans exception. Un immense repas fut servi : l’assistance en mangea puis on distribua le reste dans les maisons de Bagdad, chez l’élite comme chez le peuple. Tous les étudiants, les membres de l’appareil d’Etat, les juristes et les répétiteurs reçurent des dons généreux. Ce fut une journée mémorable. Les poètes déclamèrent devant le calife des louanges et des poèmes admirables. Ibn as-Sâ`î[13] l’a relaté avec force détails dans sa Chronique. L’imam Muhyî ad-Dîn Abû `Abdallâh ibn Fadlân[14] fut nommé pour enseigner le rite chaféite, l’imam Rashîd ad-Dîn Abû Hafs `Umar ibn Muhammad al-Farghânî[15] pour enseigner le rite hanafite, l’imam Muhyî ad-Dîn Yûsuf ibn ash-Shaykh Abû al-Faraj ibn al-Jawzî[16] pour enseigner le rite hanbalite ; celui-ci fut remplacé ce jour-là par son fils `Abd ar-Rahmân[17] car il était absent pour quelque mission lointaine ; le rite malékite fut enseigné ce jour-là à titre provisoire par l’éminent cheikh Abû al-Hasan al-Magharibî al-Mâlikî, en attendant qu’un autre cheikh soit nommé à sa place. Une bibliothèque inégalée par sa richesse, la qualité de ses copies et l’excellence de ses ouvrages fut allouée à l’institution. »[18]
[1] Abû Nasr Sâbûr ibn Ardashîr (mort en 416H), ministre de Bahâ’ ad-Dawla Abû Nasr ibn `Add ad-Dawla, important homme d’état, intelligent, noble et vaillant, d’une grande générosité, fondateur d’une maison du savoir à Bagdad. Voir adh-Dhahabî, Siyar al-a`lâm 17/387, et Ibn Khallikân, Wafayât al-a`yân 2/354.
[2] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya, 11/312.
[3] Shujâ` ad-Dawla Sâdir ibn `Abdallâh, fondateur en 491H de la madrasa as-sâdiriyya dans bâb al-barîd à la porte ouest de la mosquée des omeyyades à Damas. Voir Ibn `Asâkir, Târîkh Dimashq 52/46.
[4] Abû al-Hasan Rasha’ ibn Nadîf ibn Mâ Shâ’ Allâh ad-Dimashqî (370-444H/980-1052), savant et récitateur originaire d’al-Mi`ra, a étudié en Egypte, en Syrie et en Irak et a vécu à Damas. Voir az-Zarkalî, al-A`lâm 3/21.
[5] `Arif `Abd al-Ghanî, Nizâm at-ta`lîm `inda l-muslimîn p. 89.
[6] Abû `Alî al-Hasan ibn `Alî at-Tûsî, surnommé Nizâm al-Mulk (408-485H/1018-1092), originaire des environs de Tûs : homme d’état devenu ministre du sultan Alp Arslan, fondateur de la madrasa an-nizâmiyya de Baghdad et d’autres instituts. Voir adh-Dhahabî, Siyar a`lâm an-nubalâ’ 19/94, et az-Zarkalî, al-A`lâm 2/202.
[7] Mustafâ as-Sibâ`î, Min rawâ’i` hazâratinâ, pp. 103-104.
[8] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya 12/92.
[9] `Abd al-Malik ibn `Abdallâh ibn Yûsuf al-Juwaynî (419-478H/1028-1085), Abû al-Ma`âlî, fils de Rukn al-Islâm Abû Muhammad al-Juwaynî : surnommé « l’imam des lieux saints » et « la fierté de l’islam », il fut le plus grand des imams. Voir Taqî ad-Dîn as-Sayrafînî, al-Muntakhab, 1/361.
[10] Ibn al-Jawzî, al-Muntazam 9/167.
[11] `Abd al-Hâdî Muhammad Ridâ, Nizâm al-Mulk, p. 651.
[12] Johan Huizinga, Le déclin du Moyen Age, p. 175.
[13] Abû Tâlib `Alî ibn Anjab ibn `Abdallâh (593-674H/1197-1275), l’un des plus grands chroniqueurs, né et mort à Bagdad. Il était responsable de la bibliothèque d’al-Mustansiriyya. Il a écrit entre autres al-Jâmi` al-mukhtasar fî `unwân at-târîkh wa-`uyûn as-siyar. Voir az-Zarkalî, al-A`lâm, 4/265.
[14] Muhyî ad-Dîn Abû `Abdallâh ibn Fadlân al-Baghdâdî ash-Shâfi`î, enseignant à al-Mustansiriyya et juge suprême. Excellent représentant de son école, il a voyagé jusqu’au Khorassan pour y débattre avec les savants. Mort au mois de shawwâl 631H/1233. voir as-Sadfî, al-Wâfî bil-wafayât 2/132.
[15] Al-Farghânî, `Umar ibn Muhammad ibn al-Husayn ibn Abî `Umar ibn Muhammad ibn Abî Nasr al-Andikâ’î, mort en 632H. Voir Ibn Abî al-Wafâ’ al-Qurashî, al-Jawâhir al-mudiyya fî tabaqât al-hanafiyya 2/662-663.
[16] Muhyî ad-Dîn Yûsuf ibn al-Jawzî al-Qurashî al-Baghdâdî (580-656H/1175-1258), fils de l’éminent savant Abû al-Faraj ibn al-Jawzî, formé par son père et d’autres maîtres, chargé à Bagdad de la hisba et du contrôle des fondations. Mort en martyr tué par les Tatars ainsi que ses trois fils. Voir az-Zarkalî, al-A`lâm, 8/236.
[17] Yûsuf ibn `Abd ar-Rahmân ibn `Alî ibn al-Jawzî, mort en martyr avec son père, tué à Bagdad lors de la prise de la ville par Houlagou en 656H/1258 ; il était alors âgé d’une cinquantaine d’années. Auteur d’un recueil de poésie. Voir Kahâla, Mu`jam al-mu’allifîn 5/200.
[18] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya, 13/139-140.
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