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L’Europe fit de la civilisation romaine l’un des éléments constitutifs de la sienne, elle s’en est inspirée sur le plan militaire, administratif, politique, le droit romain en est un exemple
L’Europe fit de la civilisation romaine l’un des éléments constitutifs de la sienne, elle s’en est inspirée sur le plan militaire, administratif, politique, le droit romain en est un exemple. Malgré certains progrès civilisationels, elle connut une fin et « une stagnation au niveau culturel ».
La civilisation romaine est l’une des plus importantes civilisations européennes après la civilisation grecque. Elle est à l’origine d’institutions administratives et d’une organisation de la cité inconnues jusque-là. Sa principale réalisation est le droit romain, fruit de l’expertise des penseurs et philosophes de Rome ; le code du statut personnel, par exemple, définit les relations de l’individu et de la société ainsi que les droits et les devoirs de chacun.
Malgré toutes les réalisations des Romains en termes de civilisation et d’organisation sociale, malgré leur puissance militaire qui leur a permis de partager avec les Perses la domination du monde civilisé, leur civilisation était en pleine décadence à l’époque du Prophète (paix et salut à lui) ; elle avait alors atteint le plus bas niveau de déclin dans tous les domaines.
Le Dr Ahmad Shalabî résume la situation en ces termes : « Les Romains ont envahi et dominé l’Europe entre le second et le premier siècle avant J.-C., mais aussi la Syrie (65 av. J.-C.) puis l’Egypte (30 av. J.-C.), soumettant ainsi la majeure partie des foyers de civilisation d’Europe et d’Orient à leur gouvernement. Sous la domination romaine, ces régions connurent des formes de pression et d’humiliation qui étouffèrent leur activité intellectuelle : le joug de l’oppression romaine fut un frein au progrès et Rome s’avéra incapable de transmettre le flambeau de la civilisation aux régions conquises. De ce fait, Rome ne fut jamais durant son histoire un centre de rayonnement intellectuel comme l’avaient été Héliopolis au temps de l’Egypte antique ou Athènes et Alexandrie à l’apogée de la civilisation grecque. Sa domination s’accompagne d’une stagnation au niveau culturel. »[1]
Malgré l’avènement de Jésus (la paix soit sur lui), le gouvernement romain resta encore longtemps païen, jusqu’au règne de Constantin[2] (272-337) qui régna de 306 à 337 apr. J.-C. Cet empereur est l’auteur d’une série de mesures qui renforcèrent le christianisme ; il s’y convertit à la fin de sa vie et fut baptisé sur son lit de mort. Le clergé chrétien ne se satisfit pas de ce que Constantin avait fait pour le christianisme mais promulgua en son nom ce qu’on appela « l’édit de Constantin ». Selon ce texte, l’empereur accordait au pape d’importants pouvoirs séculiers dans les Etats papaux fondés par le Pape ; la critique textuelle a toutefois établi que ce texte était un faux. Quoi qu’il en soit, l’attitude de Constantin envers le christianisme encouragea les ambitions séculières du clergé au-delà du simple pouvoir religieux : ainsi, à la fin du quatrième siècle l’évêque de Milan parvint à faire renoncer l’empereur Théodose (mort en 395H) à certaines mesures qu’il avait prises.[3]
Depuis le début du cinquième siècle l’Eglise joua un rôle déterminant dans certains domaines, en particulier les orientations intellectuelles de l’empire romain. Face aux conceptions romaines d’origine égyptienne ou phénicienne, la position de l’Eglise était basée sur les considérations suivantes :
– Le Livre saint renfermait toutes les connaissances dont l’homme avait besoin ici-bas et dans l’au-delà : il devait donc être la seule source de toute théorie ou croyance. Seuls les ecclésiastiques avaient le droit d’en interpréter les textes et les gens devaient accepter ces interprétations sans réfléchir ni discuter.
– En conséquence, l’idée se répandit que tout ce qui n’était pas dans le Livre saint était faux, et qu’il ne fallait donc pas s’y référer.
– Les ecclésiastiques étaient les représentants de Dieu sur terre : ils avaient le droit de châtier ceux qui résistaient à leurs idées et de récompenser ceux qui leur obéissaient, comme Dieu châtie et récompense les êtres humains.
– Les miracles accomplis par Jésus sont l’un des fondements du christianisme ; or, les miracles s’écartent par définition des lois de la nature et des principes scientifiques : étant profondément convaincus de ces miracles, les ecclésiastiques prenaient parti en leur faveur et contre les sciences face à cette contradiction.
– Les textes chrétiens prônent le détachement de ce bas-monde dans l’attente du royaume des cieux : le confort physique et l’argent n’ont pas d’importance. Comme la plupart des sciences expérimentales répandues en Orient étaient au service de la vie de ce monde, la pensée du clergé se construisit contre ces sciences.[4]
C’est pour cela que l’Eglise a combattu les diverses sciences et les savants. Elle s’arrogea le monopole de certains domaines intellectuels qu’elle soumit au cadre des textes sacrés, tout en menant une lutte acharnée contre de nombreuses idées. La médecine, les mathématiques et la physique faisaient partie de cette dernière catégorie : l’Eglise détruisit certains ouvrages de ces sciences et en dissimula d’autres au regard public afin qu’ils tombent dans l’oubli.[5]
L’Eglise poursuivit cette politique des siècles durant. Lorsqu’arriva l’époque des libertés, cependant, elle ne parvint plus à brûler ou à dissimuler les livres. Elle se mit alors à émettre des édits interdisant aux chrétiens de lire les ouvrages qu’elle considérait comme contraires à sa définition de la religion ou ceux qui critiquaient l’Eglise. Elle décida également d’excommunier ceux qui affirmaient que la terre était ronde… L’Eglise chrétienne parvint ainsi pendant des siècles à étouffer la révolution scientifique. Ces gens exploitèrent la religion pour en faire un instrument d’oppression et d’ignorance au lieu qu’elle soit une lumière.[6]
La religion chrétienne fut par ailleurs l’occasion de débats théologiques généralement stériles qui occupèrent les esprits en épuisant inutilement les ressources intellectuelles ainsi détournées des sciences. Ces divergences donnèrent souvent lieu à des guerres sanglantes, des effusions de sang, des destructions, des tortures, des assassinats… Les écoles, les églises, les maisons même se transformaient en camps militaires tandis que la guerre civile faisait rage. On peut citer parmi ces violents conflits religieux ceux qui opposèrent l’Eglise assyrienne à l’Etat romain et aux chrétiens d’Egypte, c’est-à-dire plus précisément les nestoriens aux monophysites. Les nestoriens croyaient à la double nature du Christ (homme et Dieu) tandis que les monophysites considéraient qu’il avait une nature unique divine dans laquelle la nature humaine du Christ se confondait. Le conflit entre ces deux tendances se poursuivit durant le sixième et le septième siècles, comme un conflit qui aurait opposé deux religions différentes, chaque camp accusant l’autre d’être dans l’erreur.[7]
Sur le plan de la structure sociale, la société romaine était composée de maîtres et d’esclaves : les maîtres détenaient tous les droits tandis que les esclaves n’avaient aucun droit civique. Le droit romain hésita un temps à appeler les esclaves des personnes puis finit par parler d’eux comme des « êtres humains non personnels ». Les esclaves étaient assimilés à des marchandises : ils ne pouvaient ni posséder de biens, ni en hériter ni en léguer. Ils ne pouvaient pas se marier légalement et tous leurs enfants étaient considérés comme illégitimes. Tous les enfants d’une esclave étaient considérés comme des esclaves, même si leur père était un homme libre. Le maître pouvait disposer de ses esclaves hommes ou femmes sans avoir de compte à rendre à quiconque : les esclaves ne pouvaient pas saisir les tribunaux s’ils étaient maltraités, seul le maître pouvait éventuellement porter plainte au nom de son esclave. Le maître avait le droit de frapper son esclave, de l’emprisonner, de lui faire combattre des bêtes sauvages, de le faire mourir de faim ou de le tuer pour une raison quelconque ou sans raison : nul ne pouvait le lui reprocher, si ce n’était l’opinion publique elle-même constituée de propriétaires d’esclaves. Si un esclave s’enfuyait et était repris, son maître pouvait le marquer au fer rouge ou le crucifier. Auguste se targuait d’avoir capturé trois mille esclaves en fuite et d’avoir fait crucifier tous ceux qu’aucun maître n’avait réclamés. Si un esclave se rebellait contre de tels traitements et tuait son maître, la loi voulait que tous les esclaves du maître tué soient mis à mort. Lorsque le gouverneur Pedanius Secundus fut assassiné en l’an 61 et que ses quatre cents esclaves furent condamnés à mort, une minorité de sénateurs s’élevèrent contre ce jugement et une foule en colère envahit les rues appelant à la clémence : malgré cela, l’assemblée persista à exécuter la sentence, convaincue que seule une telle sévérité pouvait garantir la sécurité des maîtres.[8]
Le droit romain accordait au maître le droit de vie ou de mort sur son esclave. Les esclaves étaient si nombreux que certains historiens romains avancent que leur nombre était trois fois supérieur à celui des hommes libres.[9]
Enfin, les femmes étaient considérées dans la société romaine comme des êtres sans âme, et qui donc n’avaient pas accès à l’au-delà. Ces êtres impurs se voyaient interdire de manger de la viande, de rire, ou même de parler.[10]
Tous ces facteurs ont conduit à la décadence de la civilisation romaine. Les fondements de la vertu disparurent, les valeurs morales se perdirent ; c’est ce qu’exprime l’historien britannique Gibbon[11] qui écrit : « A la fin du sixième siècle, le déclin et la décadence de l’empire atteignirent leur terme. »[12]
[1] Ahmad Shalabî, Mawsû`at al-hadâra al-islâmiyya 1/56.
[2] Constantin 1er (272-337), empereur romain qui révolutionna l’histoire du christianisme en faisant du christianisme la religion officielle de l’empire romain. Il réunit le concile de Nicée en 325 et fonda la ville de Constantinople.
[3] Voir Ahmad Shalabî, Mawsû`at al-hadâra al-islâmiyya 1/56-57.
[4] Ibid., 1/57-58.
[5] Voir Ibn Nabâta al-Masrî, Sirh al-`uyûn, p. 36 ; Ibn Nadîm, al-Fihrist, p. 333.
[6] Voir Ahmad Shalabî, Mawsû`at al-hadâra al-islâmiyya, 1/57-60.
[7] Voir Abû al-Hasan an-Nadwî, Ce que le monde a perdu avec le déclin des musulmans, p. 43.
[8] Will Durant, The Story of Civilization, 10/370-371.
[9] Voir Ahmad Amîn, Fajr al-islâm, p. 88.
[10] Ahmad Shalabî, Muqâranat al-adyân 2/188 ; `Afîf Tayâra, Rûh ad-dîn al-islâmî, p. 271.
[11] Edward Gibbon (1737-1793), historien britannique célèbre pour son monumental ouvrage The History of the Decline and Fall of the Roman Empire.
[12] The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, vol. V, p. 13, cité par Abû al-Hasan an-Nadwî, Ce que le monde a perdu avec le déclin des musulmans, p. 46.
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